Je leur ai dit les vérités les plus désobligeantes, mais ils ne se sont pas fâchés. Je me suis mis à genoux pour leur écrire, mais ils ne se sont pas apitoyés. Je les ai insultés grossièrement, mais ils ne se sont pas sentis offensés. J’ai voulu les faire rire, ou exciter leur curiosité, mais ce fut en vain. Je n’ai réussi à éveiller en eux, ni les grands sentiments, ni les appétits vulgaires. Je n’ai pu provoquer chez eux aucune réaction. J’aurais mieux fait de parler à des pierres. Ils n’ont pas de sentiments. Ils ne savent pas haïr. Ils ne savent pas se venger. La pitié leur demeure étrangère. Ils travaillent automatiquement et ignorent tout ce qui n’est pas inscrit au programme. Je pourrais déchirer un lambeau de ma chair et écrire une pétition dessus, avec mon sang encore chaud, et ils ne a liraient quand même pas. Ils la jetteraient à la corbeille à papiers comme ils l’ont fait pour les autres. Ils ne verraient même pas que c’est un lambeau de ma chair, de chair humaine encore chaude. L’homme leur est indifférent. C’est l’indifférence du Citoyen vis-à-vis de l’homme, indifférence qui a fini par surpasser celle des machines.
Livre : La vingt-cinquième heure
Écrivain : Constantin Virgil Gheorghiu
Première date de parution : 1949
Pages : 448